La crise climatique n’est plus une simple menace lointaine, ni un sujet réservé aux sphères scientifiques ou politiques. Elle s’invite dans notre quotidien, dans nos conversations, et plus profondément encore, dans nos émotions. Une nouvelle forme de souffrance psychique émerge : l’éco-anxiété. À la croisée de la psychologie, de l’écologie et de la philosophie, l’écopsychologie tente de mettre en lumière ce lien intime entre la santé mentale et l’état de la planète.
L’éco-anxiété se manifeste par un sentiment d’angoisse, de tristesse ou d’impuissance face à la dégradation de l’environnement. Bien qu’elle ne soit pas encore officiellement reconnue comme un trouble mental dans les classifications médicales, cette détresse gagne en visibilité, notamment chez les jeunes générations. Ceux qui ont grandi avec la conscience aiguë d’un monde en péril ressentent une forme de désespoir existentiel, voire une perte de sens. Pour eux, envisager l’avenir revient à affronter des perspectives de pénurie, de catastrophes naturelles, de conflits environnementaux, voire d’effondrement civilisationnel. Ce climat d’incertitude nourrit un mal-être que les thérapies classiques peinent encore à adresser.
C’est là qu’intervient l’écopsychologie. Née dans les années 1990, cette approche propose de reconnecter l’humain à la nature, non pas uniquement dans une perspective thérapeutique individuelle, mais dans une volonté de guérison collective. Selon ses fondements, le déracinement moderne — cette rupture entre l’homme et le vivant — serait à l’origine d’un vide spirituel et psychologique profond. L’écopsychologie ne se limite donc pas à apaiser les symptômes d’angoisse liés au climat ; elle questionne notre rapport au monde, nos modes de vie, nos valeurs. Elle nous invite à reconnaître que le traumatisme écologique est aussi un traumatisme intérieur.
Dans ce cadre, certaines pratiques se développent : la thérapie en nature, les cercles de parole sur l’éco-anxiété, les rituels de deuil écologique ou encore les immersions en forêt. Ces approches visent à permettre aux individus d’exprimer leur douleur face aux pertes environnementales, mais aussi à raviver un sentiment d’appartenance à la Terre. L’idée n’est pas d’apaiser pour mieux oublier, mais de transformer la souffrance en engagement, en résilience, en lucidité active.
La prise de conscience écologique devient ainsi une étape douloureuse mais nécessaire d’un éveil plus profond. Cependant, il faut être prudent : toute personne n’a pas les mêmes ressources émotionnelles pour faire face à cette réalité brutale. L’éco-anxiété peut conduire au repli, à la culpabilité excessive, voire à la dépression. Certains activistes parlent même de “burn-out militant”, symptôme d’un épuisement à lutter contre un système qui semble immobile.
Les professionnels de la santé mentale commencent à s’intéresser de plus près à ces nouveaux enjeux. Des formations en écopsychologie apparaissent dans certains pays, et des thérapeutes intègrent désormais les problématiques climatiques dans leur pratique. Pourtant, dans de nombreuses institutions, la question reste marginale. Il est urgent de reconnaître que l’effondrement du vivant n’est pas seulement une crise extérieure. C’est aussi une blessure intérieure, qui appelle à repenser notre conception du soin, du lien, et de la responsabilité.
Face à l’ampleur du bouleversement écologique, la tentation est grande de se détourner, de minimiser, voire de se couper de ses émotions pour continuer à fonctionner. Pourtant, c’est précisément en accueillant ces émotions — colère, tristesse, peur — que l’on peut espérer y puiser une forme de force. L’écopsychologie ne prétend pas offrir une solution miracle à la crise climatique, mais elle ouvre une voie : celle d’un dialogue entre l’âme humaine et la Terre. Une voie fragile, incertaine, mais peut-être essentielle pour ne pas sombrer dans l’indifférence ou le désespoir.