Longtemps ignoré, parfois minimisé, le burnout — ou syndrome d’épuisement professionnel — est aujourd’hui au cœur des débats sur la santé mentale au travail. Symptôme d’un monde professionnel en constante accélération, il questionne notre rapport à la performance, à la pression sociale et à la frontière entre vie privée et vie professionnelle. Peut-on alors parler d’une véritable « maladie du siècle » ?
Le burnout ne se manifeste pas du jour au lendemain. C’est un effondrement progressif, souvent imperceptible, qui touche des individus investis, engagés, parfois même passionnés par leur travail. À force de tirer sur la corde, de vouloir répondre à des exigences de productivité toujours plus élevées ou de combler un manque de reconnaissance, le corps et l’esprit finissent par lâcher. Fatigue extrême, troubles du sommeil, perte de motivation, sentiment d’inefficacité, anxiété constante, voire dépression : les symptômes sont multiples, et souvent invalidants.
Ce phénomène, bien qu’il ne soit pas encore reconnu comme une maladie à part entière par la classification internationale des maladies de l’OMS (à l’exception d’un encadrement en tant que phénomène lié au travail), concerne de plus en plus de travailleurs. Cadres, enseignants, soignants, salariés du privé ou du public : aucun secteur n’est véritablement épargné. Dans une société marquée par une hyperconnectivité constante et une culture de la performance, le repos est devenu presque suspect, et l’épuisement une sorte de fierté silencieuse.
La pandémie de COVID-19, en bouleversant nos modes de travail, a également mis en lumière l’ampleur du problème. Le télétravail, présenté comme un progrès, a brouillé les frontières entre sphère professionnelle et personnelle. Beaucoup se sont retrouvés à travailler plus, sans véritables coupures, dans une solitude pesante et un climat d’incertitude anxiogène. Cette période a agi comme un révélateur : les troubles liés à l’épuisement professionnel ont explosé, forçant les entreprises à reconsidérer leur responsabilité en matière de bien-être au travail.
Mais le burnout ne peut pas être vu uniquement comme une affaire individuelle. Il est aussi le symptôme d’un dysfonctionnement plus global. Des rythmes de travail intenables, un management toxique, des objectifs flous ou irréalistes, un manque de reconnaissance, une perte de sens : autant de facteurs qui nourrissent l’épuisement professionnel. Il devient alors urgent de repenser le travail, non plus comme une simple source de rendement, mais comme un espace de développement humain, de coopération et de respect des limites de chacun.
Certaines entreprises commencent à prendre la mesure du problème, en intégrant des politiques de prévention : formation des managers, accès à des cellules psychologiques, incitation à la déconnexion, flexibilisation des horaires. Mais ces initiatives restent parfois marginales ou insuffisamment suivies. Le changement de culture nécessaire implique une réflexion plus profonde, qui interroge les fondements mêmes de notre modèle économique et de notre vision de la réussite.
Enfin, il est important de rappeler que le burnout ne concerne pas uniquement les « autres ». Il peut toucher n’importe qui, à tout moment, souvent sans signes avant-coureurs évidents. Écouter les signaux du corps, préserver des temps de repos réels, accepter de ralentir ou de demander de l’aide ne sont pas des faiblesses, mais des gestes essentiels de préservation de soi.
Alors, peut-on vraiment qualifier le burnout de maladie du siècle ? Sans doute, oui. Car il incarne l’épuisement d’un mode de vie, d’une organisation du travail qui atteint ses limites. Il est le cri d’alerte d’individus qui ne veulent plus sacrifier leur santé mentale sur l’autel de la productivité. Le reconnaître, c’est déjà commencer à y répondre.